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Je ne croyais pas si bien dire ; mieux, je croyais complètement me planter dans mon mot (ou commentaire, critique, enfin comme vous voulez), jusqu’à ce que je lise cet entretien, dans lequel j’ai retrouvé de mes comparaisons et noms. Voici donc un interview de Serge Franklin réalisé par Nicolas Michel au sujet de la musique "L’Enfant des loups" pour le site de musique TraxZone, intitulé…

la communion selon Serge Franklin

Nul ne contestera qu’il existe un "phénomène L’Enfant des loups" au regard de l’attente et l’engouement exceptionnels suscités par cette musique de télévision écrite voilà bientôt dix ans. À peine la nouvelle d’une réédition a-t-elle été annoncée que les esprits se sont échauffés, les réactions enthousiastes ont fusé. Surpris et forcément ravi, Serge Franklin a cherché avec nous les raisons de ce consensus, au-delà des évidentes qualités symphoniques et chorales de l’œuvre, opéra post-romantique où viennent se mêler les échos de la ferveur religieuse et de la barbarie des temps anciens.

Par sa simplicité, son extrême gentillesse, Serge a tôt fait de transformer notre interview en une véritable rencontre humaine. La clé du succès de "L’Enfant des loups" réside peut-être là également, dans la sincérité qui anime le compositeur. Ou comment une musique authentique, écrite avec le cœur, a su toucher le plus grand nombre.




Êtes-vous fier qu’un label ait misé sur vous pour se lancer sur le marché ?

Ce n’est pas de la fierté. J’admire les gens de Lympia. Je suis content de voir une équipe s’enthousiasmer pour un projet et me redonner finalement des envies par rapport à cette musique. "L’Enfant des loups" ne m’appartient plus quelque part. Je leur en ai fait cadeau. Ils l’ont remasterisé avec Olivier Mortier, choisi un autre ordre. Tout s’enchaîne bien. C’est vraiment une œuvre qu’ils ont repensée, revisitée : une œuvre de création ! Je leur ai fait confiance totalement. Ils ont été tenaces. Il faut savoir qu’il est difficile de me convaincre de ressortir mes musiques. Je manque de conviction. Je n’y crois pas trop. Je ne me rends pas compte de l’impact qu’elles peuvent avoir. Ce projet, ils ne l’ont pas fait pour l’argent, mais par passion. C’est important à une époque où la création est souvent mise de côté. Ce qui prime aujourd’hui, c’est de prendre une partie de votre cerveau pour le vendre à Coca Cola. Je ne dis pas que M. Le Lay n’est pas un homme intelligent. Mais je ne comprends pas qu’il ait eu la morgue de nous jeter une phrase pareille à la figure ! Je me sens obligé de réagir dans les interviews que je fais aujourd’hui. Si je veux aller au bout de ce que je pense, je me demande si cet homme n’a pas voulu nous faire réagir : "Je suis en train de vous flouer, de vous dire que Coca Cola est plus important que vos œuvres littéraires, musicales, cinématographiques, et vous ne bougez pas ?!". C’est peut-être un appel à la révolte dissimulé. C’est possible. Une fois la rage passée, au lieu de hurler avec les loups, il faut méditer sur tout ça, aller plus loin dans sa réflexion.



Pourquoi n’aviez-vous pas mis toute la musique sur la première version de "L’Enfant des loups" ?

Pour une question de déontologie, je n’avais pas retenu la musique que Philippe Monnier n’avait pas utilisée dans le film. Ces passages étaient tout à fait respectables. Ils n’ont pas sauté parce qu’ils étaient mauvais, mais pour des raisons de mixage.



Qu’apportent aujourd’hui ces passages supplémentaires ?

J’ai la particularité d’écrire dans la continuité. Je vais linéairement d’un point à l’autre. Je commence par le générique du début et je termine par le générique de fin. Je ne m’occupe pas d’abord des grosses séquences qui vont me demander un travail plus important. À partir de là, remettre ces morceaux redonne probablement une unité manquante. La vérité de la partition a été rétablie.



Vous semblez avoir travaillé dans de bonnes conditions à l’époque en termes de temps et de moyens.

Tout à fait. Je n’ai pas été appelé quinze jours avant. J’ai beaucoup parlé avec Philippe, lu deux ou trois moutures du scénario. J’ai dit ce que je pensais et donné mon avis sur certaines scènes. Des morceaux comme "Cantique barbare" ont été écrits en amont pour être utilisées sur le plateau. J’avais vu dans un film les Massaïs taper sur leurs boucliers avant de passer à l’attaque. J’ai suggéré que les barbares aient ce geste ancestral. Par ailleurs, je me suis toujours beaucoup battu pour les budgets. Cela m’a parfois desservi. J’ai peut-être raté certains films parce que l’on pensait que j’étais cher. Il faut savoir que je ne prenais rien pour moi, je ne conservais que mes droits d’auteur. C’était valable parce que je travaillais beaucoup. Faisant un effort, je demandais aux producteurs d’en faire un aussi. Pour "L’Enfant des loups", chaque centime est allé dans la partition. On sent bien que je ne suis pas allé me saouler à Prague avec le pognon (rire). Je me suis investi. Philippe Monnier aussi. Il m’a laissé retravailler sur place en studio pour que la musique soit encore plus près du film. C’est difficile de toucher à une partition de cent musiciens. J’ai enlevé certaines choses. C’est-à-dire que j’écris beaucoup, un peu plus qu’il n’en faut probablement. J’ai fait sauter une ligne de percussions ici, un contre-champ d’alti là. Une fois que l’on entend l’ensemble, on se dit : "Ça, on n’en a pas besoin".



C’est l’avantage de votre position, d’être en studio plutôt que de diriger…

Ma position, vous l’avez comprise, elle est en retrait. Je ne suis pas en train de diriger et de surveiller les dièses et les bémols. Claudio Abbado, avec Mozart, il a toute l’émotion, tout le bonheur de la direction. En musique de film, il ne faut pas rêver. Vous avez un clic dans l’oreille et vous suivez les indications : moderato, dolce, furioso… Vous donnez l’impulsion, c’est tout ! De mon siège, je peux juger si ce que j’entends est conforme avec ce que j’avais dans la tête.



Quelle fut votre première idée quant à la direction que devait prendre la musique ?

Le latin m’a paru indispensable, à cause des nonnes. Il devait donc y avoir des chœurs. Je ne voulais pas d’une écriture et d’une instrumentation moyenâgeuses. Philippe n’y tenait pas non plus. "L’Enfant des loups", c’est une musique post-romantique traditionnelle. Vous avez des éléments qui font médiévaux mais qui ne sont pas du Moyen Âge : les rythmiques, les mouvements, les manières de mettre les harmonies entre elles et d’écrire les notes. À l’horizontal, certaines astuces d’écriture permettent d’obtenir cette façon mélodique du Moyen Âge. En verticalité, je suis resté le plus possible dans les harmonies que l’on connaît bien et qui donnent ces musiques de films hollywoodiennes que l’on aime, amples, généreuses. Quand je me suis lancé dans la musique, je suis allé apprendre le sitar en Inde. Lorsque je suis revenu, j’ai monté un groupe, le Free Sitar. Je faisais de la musique indienne à ma façon. J’ai toujours travaillé comme ça. Si l’on vient me voir en me demandant du jazz, je le ferais à ma manière. J’ai donc fait du Moyen Âge à la Serge Franklin. Je me sers des sonorités, des modes, mais je finis toujours par mettre ma patte à moi.



Vous parlez volontiers de messe à propos de "L’Enfant des loups"…

À cause des emprunts directs aux textes en latin des messes traditionnelles : Kyrie, Dies Irae… Il y a chez moi une vraie attirance pour la beauté de la messe, du rite catholique, même si je ne suis pas chrétien. J’ai assisté à des offices dans de nombreux pays du monde. À chaque fois, j’ai été bouleversé par cette foi brûlante qui est la particularité du christianisme. Toutes les musiques religieuses m’inspirent. Personne aujourd’hui n’irait me commander une messe. À travers ce film, je me suis donc fait plaisir. Je ne sais pas ce qui touche les gens. Mais il y a une communion dans cette musique. Quand vous êtes dans une assemblée qui chante, quelle que soit la religion, quelle que soit la forme musicale, que ce soit des chants hindous, juifs, protestants, vous ne voyez pas le temps passer. Les gens qui composent savent cela. Ils commencent à écrire aux aurores, ils relèvent le nez et il est huit heures du soir ! Ils n’ont pas vu passer la journée. Ils étaient ailleurs. C’est ça la communion ! Les gens entrent dans la musique de "L’Enfant des loups" et elle les déconnecte comme le fait la messe, le chant grégorien ou la musique de l’Inde quand elle vous prend petit à petit dans ses cercles. Vous vous retrouvez en osmose avec elle.



Aimez-vous vous éloigner de la structure symphonique classique ?

Je suis fou d’instruments de musique de tous les pays. J’aime apporter pendant les séances un son sorti du contexte de la musique traditionnelle, une sonorité africaine par exemple. Je me souviens une fois d’être arrivé avec des calebasses. En Afrique, on en joue avec des bagues en métal. J’ai des percussions qui viennent du monde entier. Il peut m’arriver d’aller chercher une poubelle en plastique, de la retourner et de demander au percussionniste de taper dessus (rire). J’ai utilisé le didjeridoo dans un polar. Les gens se sont demandés ce que c’était. Il est possible aussi de se servir des instruments de l’orchestre d’une façon autre que traditionnelle. Prenez la timbale. Le soliste peut taper doucement sur la partie métallique. On peut obtenir des choses très étranges en jouant avec le souffle, en faisant sourdre les cuivres… Jerry Goldsmith était l’un des maîtres en la matière. Il fait partie des gens que j’ai toujours beaucoup admirés. Il savait tirer le maximum des instruments parce qu’il les connaissait. Ce sont avec les musiciens que j’ai appris l’orchestration. Ils m’ont fait voir des trucs d’écriture, de son.



Le prologue de "L’Enfant des loups" a un ton particulier à la flûte que l’on ne retrouve pas par la suite.

Le prologue sert d’exposition. Il a un petit côté "En ce temps-là…", un côté un peu nostalgique. Nous ne sommes pas encore dans l’action. Je voulais commencer par quelque chose qui vous prépare à entrer dans l’histoire et dans la musique en elle-même.



Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre les aspects sombre et lumineux de votre partition ?

Si j’orchestre dans certaines tonalités, certaines fréquences, je sais que je vais donner telle ou telle couleur. Je vais faire entrer la lumière avec des instruments plus aigus. Le hautbois par exemple donne cette lumière. Vous pouvez à l’inverse tirer les harmonies vers le bas.



Comment avez-vous rendu musicalement l’idée de violence ?

La violence, c’est la face cachée du compositeur. Cela prouve que j’en ai une sacrée dose ! Mais elle ne passe que par ma musique. Je suis quelqu’un qui aime les dialogues. Je ne pense pas que la violence soit une solution aux conflits humains. Il faut cependant une certaine agressivité pour être compositeur, sortir cette force que l’on a en soi et la mettre au service de la musique. Je crois que c’est la façon de canaliser cette force que l’on a dans son écriture qui fait que l’agressivité devient violente au moment où l’on en a besoin. Concrètement, j’ai aussi utilisé des astuces : j’ai demandé par exemple aux cors d’imiter le cri des loups. Le choix des mots du latin n’est pas étranger à la violence également : Confutatis Maledictis, Dies Irae…



Le spectre de Carl Orff plane sur les chants…

Difficile de passer à côté de Carl Orff ! Je regrette les choix nazis de l’homme. Mais j’admirerai toujours le compositeur. Son influence se fait sentir dans les passages violents justement. Sinon, "Ecce Como" renvoie à un compositeur vénitien, Carlo Gesualdo, qui écrivait des motets. Je revendique ces influences.



Quelles différences vouliez-vous apporter entre les passages où les chœurs chantent et ceux où ils vocalisent simplement ?

La différence est liée au lieu où se passe l’action. La présence d’un lieu religieux commandait les mots de l’église qui venaient se répercuter dans l’édifice. Vous aviez alors le choc de l’image et du son. Et puis, à certains moments, j’avais envie d’espace où les cordes intervenaient et où les textes n’étaient pas nécessaires. Avec les paysages, je voulais que les voix soient comme du vent. Les chœurs ne chantent pas non plus de texte quand il y a des dialogues. Je ne voulais pas qu’ils interfèrent. Philippe avait un problème pour la scène où des Juifs se font massacrer par les barbares. Comment faire comprendre que ce sont des Juifs sans les stigmatiser, sans en faire des caricatures ? Avec des mots chantés en hébreux ! Voici un exemple typique où les paroles ont leur importance !



Pourquoi vous faites-vous si rare au cinéma ?

Ce n’est pas de ma faute ! Pendant dix ans, j’ai écrit de la musique de théâtre pour la compagnie Barrault-Renaud. Je succédais à des gens comme Pierre Boulez. Qu’est-ce qui est passé par la tête de Jean-Louis d’aller chercher un compositeur pas connu alors qu’il travaillait avec les plus grands ? Je n’en sais rien ! Je le lui demanderai quand j’arriverai là-haut (sourire). Puis j’ai lâché le théâtre pour le cinéma à la faveur de ma rencontre avec Alexandre Arcady. Jean-Louis m’a dit alors : "Tu as fini ton stage chez moi". Un jour, j’ai reçu des propositions pour la télévision, des grosses productions comme JALNA. J’ai toujours considéré que je n’écrivais pas de la musique pour le cinéma ou la télévision, mais pour l’image. Je ne fais pas de différences.



Vous entretenez des collaborations régulières à la télévision : Jacques Renard, Pierre Lary, Joël Santoni…

Ce sont tous de bons metteurs en scène. C’est le lien qui les unit. Mais ils ont chacun un univers complètement différent. Chez Jacques, la musique est souvent difficile, avec une écriture plus atonale. Pierre, c’est plus l’aventure, le policier. Ceci dit, nous avons fait un téléfilm sur la Résistance, "La Banquise", où les tonalités n’étaient pas piquées des hannetons. Joël, c’est "Une Famille formidable", un monde d’amitié, de tendresse et de chroniques sentimentales, qui fait appel à des musiques très drôles. Une autre forme d’écriture donc. Attention, Joël est un mélomane de haut niveau ! Il ne faut pas lui composer n’importe quoi. Jacques Renard vit lui aussi en musique, dans un autre style. Tous m’obligent à une certaine rigueur. On pourrait parler aussi de Pierre Koralnik, qui trimballe avec lui un univers sombre, terrible.



La mini-série "Sandra, princesse rebelle" (1995) a eu un certain retentissement. Un CD avait même été édité par une musique…

Je suis très content de cette belle partition. Je suis allé là au bout de mes envies. J’ai beaucoup aimé travailler avec Didier Albert. Un mec bien ! C’était un challenge car j’avais le feu au bateau (rire). J’enregistrais deux épisodes par deux épisodes. J’avais quand même écrit beaucoup de thèmes en amont, qui allaient servir dans le film : le couronnement, le grand bal avec la valse qui a fait pleurer la productrice, Pascale Breugnot. Je me souviens de la messe du couronnement dans la cathédrale de Prague. Un moment formidable ! Les chœurs d’enfants étaient en haut avec l’orgue, l’orchestre en bas parce qu’il n’y avait pas assez de place. Je me suis retrouvé sur un échafaudage à donner le départ à tout le monde afin que les groupes soient en synchronisation avec la bande qui passait.



Un dernier mot à l’attention de tous les lecteurs de TraxZone qui ont manifesté leur enthousiasme pour "L’Enfant des loups" ?

Je suis touché. Le merci que je peux donner, c’est à travers le travail des quatre mousquetaires. C’est eux qui ont fait la jonction entre les gens qui ont aimé "L’Enfant des loups" et moi. Ils ont été les porte-parole de ceux qui ont trouvé cette partition belle et qui estimaient qu’elle devait réexister.



Nicolas Michel

Source : TraxZone